Vendredi, Janvier 25, 2019

ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE. Quels atouts en soins primaires ?

Mise en place depuis la rentrée 2017, la réforme du 3e cycle ambitionne de faire évoluer le mode d’apprentissage. Les équipes pluriprofessionnelles constituent-elles un cadre privilégié pour le label universitaire ? Comment encourager cette forme de compagnonnage ?

Devenez maître de stage universitaire

Les maisons et centres de santé sont des lieux privilégiés de stage des internes en médecine générale.
Le label « MSPU » monte en puissance.
À la base de la recherche de terrain en soins primaires : le recueil de données.

 

« J’étais décidée à faire mon stage au sein d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), pour expérimenter la prise en charge globale des patients, plutôt qu’auprès de deux médecins maîtres de stage des universités (MSU) isolés, dans deux endroits différents. Les réunions hebdomadaires d’équipe, les demi-journées passées avec l’infirmière, la sage-femme, l’orthophoniste, l’ambiance générale sont vraiment des points forts pour l’apprentissage », s’enthousiasme Domitille Urban, stagiaire de niveau 1 (première année de DES de médecine générale) depuis novembre 2018 au sein de la MSP de Suresnes, dans les Hauts-de-Seine. La jeune femme est d’ores et déjà affirmative : « Je m’installerai dans une MSP, c’est certain ! »

 

DAVANTAGE DE STAGES ET DE MSU

Le nombre de médecins généralistes en formation, dans le cas de Domitille, devrait se multiplier. Avec la réforme du 3e cycle mise en oeuvre depuis la rentrée 2017 (voir encadré ci-contre), deux stages ambulatoires sont désormais obligatoires : celui de niveau 1 et le stage autonome en soins primaires ambulatoires supervisé (Saspas). Pour l’année en cours 2018-2019, ce sont 3 400 internes en médecine générale qui sont concernés par ces stages. Afin de les accueillir et de les encadrer, le nombre de MSU a lui aussi tendance à augmenter : ils étaient 9 440 au 1er janvier 2018 contre 9 135 un an plus tôt (+ 3,3 %) au sein de la filière universitaire de médecine générale, selon l’enquête annuelle du Syndicat national des enseignants de médecine générale (SNEMG) et du Collège national des généralistes enseignants (CNGE)*. « On ne sait pas quel pourcentage de ces MSU exerce en équipe mais il augmente sans aucun doute, d’autant que les maisons et centres de santé ont naturellement vocation à accueillir des étudiants », commente le Pr Vincent Renard, président du CNGE.

Affirmé lors du congrès national du CNGE en décembre 2018, l’objectif serait d’atteindre le nombre de 12 000 maîtres de stage des universités, « afin de pouvoir envisager la création d’une quatrième année professionnalisante pour le DES de médecine générale, explique le Pr Renard. Cette phase de consolidation est nécessaire pour que les internes soient vraiment prêts à s’installer, et la formation au sein des territoires est le meilleur levier pour l’installation dans ces territoires ».

Publié en avril 2017, le décret instituant la réforme du 3e cycle impose aux MSU une formation à la pédagogie pour leur agrément. Le parcours de formation, du séminaire S1 (initiation à la maîtrise de stage en 3e cycle) au séminaire S5 (accueil des internes Saspas), est adapté au niveau des étudiants accueillis. Par ailleurs, une charte des MSU, en cours de refonte, liste des critères pour l’activité de maîtrise de stage : conditions de l’encadrement, déroulement des stages, plafond d’actes réalisés par les internes en autonomie… « Cette démarche qualité est importante pour les internes en stage, qui sont à la fois en formation et producteurs de soins, et certains éléments – à l’image de la formation à la maîtrise de stage, devenue obligatoire – ont vocation à intégrer les textes réglementaires », précise le Pr Renard. Aux côtés des représentants des internes (ISNAR- IMG), le CNGE entend ainsi porter deux demandes auprès des tutelles : l’interdiction de l’exposition des internes à la visite médicale des laboratoires et un temps de consultation minimal de trente minutes pour les stagiaires de niveau 1, de vingt minutes pour les Saspas.

 

APRÈS LE SCEPTICISME, L’ENTHOUSIASME DES PRATICIENS

« Les MSU sont la clé de l’avenir de la profession. Il faut davantage les écouter et les valoriser », estime le Dr Marie-Laure Alby, militante de longue date, qui encadre deux stagiaires par an depuis vingt ans. À la mise en place du dispositif (décret de 1997), la maîtrise de stage était un sujet très polémique : « On nous accusait d’exploiter les jeunes, d’être des margoulins car on encaisse les honoraires des actes effectués par l’étudiant », se souvient-elle. Mais l’expérience s’est avérée positive pour tous, et le regard a changé. « Cette forme de compagnonnage modifie et améliore notre pratique, et retarde le départ des plus anciens qui trouvent un nouvel intérêt dans la transmission du savoir. Nous formons une nouvelle génération de praticiens qui acquièrent le goût du collectif, l’habitude de s’interroger sur leur pratique et qui ont envie de s’installer ! », résume-t-elle.

Un enthousiasme tout à fait partagé par les trois médecins de la MSP de Suresnes qui encadrent Domitille Urban, parmi lesquels le Dr Juliette Pinot, chef de clinique universitaire qui partage son temps entre son cabinet et la faculté de médecine, et le Dr Camille Charpentier, généraliste à mi-temps dans la MSP et infectiologue à mi-temps dans deux hôpitaux franciliens. « Les jeunes médecins ont envie de transmettre, c’est naturel, et c’est une évidence dans le projet de santé de notre MSP », affirme Juliette Pinot. En termes d’organisation, les trois MSU partagent leur temps auprès de la stagiaire de niveau 1, présente à temps plein pendant six mois, et peuvent échansur sa progression ou ses difficultés. « On adapte un peu le rythme de nos journées – pour ma part, j’ai simplement bloqué deux créneaux de plus pour le debriefing – mais la cadence est bonne. On peut même gagner du temps en consultation si l’interne prend la tension pendant que je remplis le dossier, par exemple, et les patients sont satisfaits de cette relation à trois », assure Camille Charpentier. Devenir MSU ne leur paraît pas être une procédure lourde du point de vue des obligations administratives : une première formation de deux jours (DPC) à poursuivre en formation continue, la charte des MSU à signer, puis lors de l’accueil de l’interne une évaluation de mi-stage communiquée à l’interne, et une évaluation de fin de stage à remplir en ligne. Les trois MSU se partagent les 600 euros d’honoraires pédagogiques versés chaque mois par l’université pour un interne de niveau 1 à temps plein. Au final, « on ne comprend pas qu’un MG ne soit pas MSU : ce n’est pas compliqué et ça vaut le coup. Ça fait progresser ! », s’exclament les deux jeunes praticiennes.

 

UNE ÉVOLUTION LOGIQUE ?

Pour Vincent Renard, président du CNGE, « il serait demain anormal de voir des maisons ou des centres de santé sans étudiant. Il s’agit de respecter la loi HPST de 2009 mais surtout l’esprit de l’exercice pluriprofessionnel ». Si l’accueil des étudiants concerne toutes les équipes, certaines peuvent être identifiées depuis 2017 comme offrant un cadre particulièrement favorable à cette activité et à la recherche en médecine générale en lien avec l’université : c’est l’objet du label maison de santé professionnelle universitaire (MSPU) ou centre de santé universitaire (voir encadré ci-contre).

Ouverte en 2016, la MSP de la Porte de Vanves (Paris 14e) dans laquelle exerce le Dr Alby a vocation à devenir MSPU quand l’université Paris 5 le décidera. « Parmi les médecins généralistes se trouvent deux enseignants universitaires, et nous accueillons des étudiants en formation de tout niveau dans un esprit de pôle d’enseignement et de pratique », décrit- elle. À Suresnes, la MSP ne peut pas pour le moment prétendre au label MSPU. Par manque de surface disponible, parce qu’elle ne remplit pas le critère du nombre de stagiaires accueillis et qu’elle n’a pas d’enseignant titulaire ou d’enseignant associé de médecine générale exerçant dans la structure. « Nous ne sommes pas assez nombreux et nous ne pouvons pas accueillir d’interne en Saspas car il a besoin de son propre cabinet, indique le Dr Charpentier. Nous voudrions nous agrandir, d’autant que nous sommes débordés par la demande de soins du quartier. L’agrandissement nous permettrait d’accueillir d’autres stagiaires et d’autres médecins, notamment des enseignants de médecine générale. Mais c’est compliqué et onéreux en Île-de-France de trouver des locaux. »

 

QUELLE RECHERCHE EN SOINS PRIMAIRES ?

Enseignement et recherche : les équipes pluriprofessionnelles constituent aussi, en principe, un cadre privilégié pour la recherche. Constituée de façon paritaire de représentants des maisons de santé, des centres de santé et de chercheurs, l’association SPP-IR (Soins pluriprofessionnels innovation recherche) a pour vocation de développer la recherche interdisciplinaire sur les nouveaux modes d’exercice et de coordination en soins primaires. Sa présidente, le Dr Tiphanie Bouchez, est chef de clinique au département d’enseignement et de recherche en médecine générale de la faculté de médecine de l’université Nice Sophia Antipolis. La recherche académique en médecine générale, et plus largement en soins primaires, connaît quelques freins à son développement, explique-t-elle, en raison « d’un problème de financement des départements de médecine générale, du faible nombre de bourses de recherche en soins primaires et parfois de fonds arrivant deux ou trois ans après le début des projets, d’un manque de représentation des soins primaires dans les jurys ». Ceci étant, la production de travaux de recherche (notamment les thèses de médecine générale) est en hausse : le nombre de documents parus entre 2014 et 2018 était 2,09 fois plus important que sur la période 2006-2013, d’après la thèse de Grégoire Michel dirigée par le Dr Bouchez. Et le séminaire de SPP-IR, dont les actes seront publiés bientôt, a réuni une centaine de personnes en janvier 2018 à Paris.

S’agissant de la recherche de terrain en soins primaires, les maisons et centres de santé universitaires en seront les relais, confirme Tiphanie Bouchez : « Dès lors qu’on se pose une question et qu’on produit de la donnée pour y répondre, on est dans une démarche de recherche. Mais il est important d’y ajouter de la méthode et des regards extérieurs. » Elle estime ainsi que trois étapes sont nécessaires : l’apprentissage au questionnement et l’accès à la littérature (contenus en open source de certaines revues, bibliothèques de l’université, des écoles paramédicales, etc.) ; le développement de la production de données liées aux soins primaires, qui implique le codage de l’information en routine et la mise en place d’enquêtes ponctuelles ; et la réflexion sur la valorisation et le transfert de connaissances (publication des résultats dans une revue…).

Dans la MSP du Dr Alby, on se veut pragmatique. « Le vrai enjeu actuel de la recherche dans les équipes, c’est le recueil de données. Or, aujourd’hui, les logiciels métiers ne sont pas encore tous au point et les soignants manquent de temps pour rentrer les données. Des attachés de recherche clinique seraient nécessaires mais tous les médecins ne sont pas prêts à “se déposséder” du dossier médical », explique-t-elle, tout en plaçant ses espoirs dans les futurs assistants médicaux annoncés dans le plan « Ma santé 2022 ». En attendant, les communautés professionnelles de territoire de santé (CPTS) du 13e et du 14e arrondissements de Paris ont déposé un projet article 51 d’incitation au parcours pour les patients de plus de 75 ans, impliquant la production d’indicateurs pour l’évaluation médico- économique et le recueil de la satisfaction des patients. Le projet ayant été retenu par le comité stratégique national, ses promoteurs travaillent au cahier des charges national de leur expérimentation. La recherche avance.

* Consultez l'enquête.

 

 

Auteurs: 
Catherine Holué