Lundi, Février 25, 2019

TÉLÉSURVEILLANCE. L’attente du grand bond en avant

Alors que la téléconsultation et la télé-expertise sont passées dans le droit commun de la Sécurité sociale depuis septembre 2018, la télésurveillance fait encore l’objet d’une expérimentation pour quatre ans. Les voix sont unanimes : son déploiement est un objectif de santé publique qui permettra d’améliorer la qualité de vie des patients et d’optimiser le parcours de soin.

Le modèle organisationnel et économique à l’essai

Objectif des expérimentations Étapes : « fixer une tarification préfiguratrice des actes de télémédecine permettant aux professionnels de développer des projets cohérents et pertinents ».
Quels professionnels de santé y participent ? L’enjeu de la coordination ville-hôpital.
Au-delà des cinq pathologies ciblées, la télésurveillance intéresse aussi les oncologues, afin d’assurer un suivi coordonné du patient atteint de cancer et de sécuriser certains processus de prise en charge.

 

Prévenir les hospitalisations évitables, c’est le leitmotiv des acteurs de la télésurveillance médicale. Du plus simple au plus technique, de la balance connectée à la télédialyse, les outils utilisés pour la télésurveillance médicale permettent à un professionnel médical d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi d’un patient et, le cas échéant, de prendre les décisions relatives à sa prise en charge. « La télésurveillance est rendue possible grâce à ces avancées technologiques. Elle est de plus en plus nécessaire avec l’explosion du nombre de patients atteints de pathologies chroniques », souligne le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Depuis deux ans, le rythme s’accélère en télémédecine avec, comme point d’orgue, l’accord signé le 15 septembre dernier par l’Assurance maladie et les syndicats représentatifs des médecins libéraux qui permet la prise en charge des téléconsultations et de la télé-expertise.

Ce qui n’était qu’une activité confidentielle réservée à quelques pionniers dans le cadre d’expériences territoriales s’impose peu à peu comme la norme. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 a ainsi mis fin au cadre expérimental pour les actes de téléconsultation et de télé-expertise. Mais les projets de télésurveillance restent, jusqu’en 2022, dans le programme Étapes (expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé). « Plus complexe à définir, la télésurveillance nécessite un temps d’appropriation et de développement plus long par rapport à la téléconsultation et à la télé-expertise. Aussi le cadre expérimental est-il maintenu à ce stade. Sa prise en charge dans le droit commun est une ambition forte du gouvernement », assure Yann-Maël Le Douarin, conseiller médical télémédecine à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). « On perd du temps, la télésurveillance ne devrait plus être dans une logique expérimentale  », regrette Jean-Paul Ortiz. Cinq cahiers des charges ont été republiés le 27 octobre 2018(1) pour définir les conditions de mise en oeuvre des expérimentations de télésurveillance, restreintes à cinq pathologies : l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, l’insuffisance respiratoire, le diabète et les prothèses cardiaques implantables. « De nombreux freins techniques et organisationnels ont été levés afin de permettre à ces expérimentations de se déployer. Le circuit de facturation, les démarches nécessaires (déclaration d’activité ARS, inscription des fournisseurs auprès de la DGOS) ont été voulus pour simplifier et sécuriser le dispositif », précise Yann-Maël Le Douarin.

Alors qu’une évaluation médico- économique et organisationnelle sera menée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et validée par la Haute Autorité de santé (HAS), 7 000 patients bénéficient aujourd’hui de la télésurveillance pour l’une des cinq pathologies concernées. « Il y a moins de dix ans, on considérait qu’une maladie chronique avait une évolution naturellement aggravante, et que l’hôpital était là pour les prendre en charge. Aujourd’hui, on sait qu’on peut prévenir les complications avec une organisation nouvelle de la surveillance des patients et que cela peut stabiliser ces maladies chroniques », résume le Dr Pierre Simon, ancien président de la Société française de télémédecine (voir encadré, p. 20). « C’est très clairement un objectif de santé publique, assure le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Avec des patients vieillissants, les prises en charge sont de plus en plus complexes. La télésurveillance permet, grâce aux clignotants qu’elle active, un meilleur suivi des patients et leur maintien à domicile, tout en rassurant les aidants. »

 

ANALYSE DES DONNÉES ET SOINS PRIMAIRES

Faut-il aller plus vite ? Pas forcément, estime le Dr Duquesnel, qui pointe du doigt le manque de clarté autour de l’intervention des prestataires privés et de la place de chacun DGOSdans le dispositif : « Qui fait quoi et à quel coût ? Par exemple, sur un projet de télésurveillance des insuffisants cardiaques à domicile, sur un territoire de 40 000 habitants, tout était bouclé entre les professionnels de santé libéraux et les cardiologues de l’hôpital de référence, témoigne-t-il. Il y a un premier prestataire qui vous accompagne pour mettre en place le protocole d’expérimentation, un deuxième qui vous fournit le matériel, un troisième qui reçoit les données et se propose de vous les analyser… sans tenir compte forcément des besoins des professionnels de santé libéraux. Dans notre territoire, des infirmières libérales étaient tout à fait capables de constater les augmentations de poids et/ou de tension et d’alerter le médecin traitant ou le cardiologue. Le matériel est resté dans des cartons depuis quatre ans, car il y a un décret qui oblige à ce que les données recueillies arrivent auprès d’un cardiologue ou d’un médecin qui a fait un DU d’insuffisance cardiaque. C’est scandaleux ! Ce n’est pas l’hôpital qui va sortir de ses murs pour savoir quelle est l’évolution du poids ou de la tension d’un patient qui est à domicile. On ne doit pas court-circuiter les professionnels de soins primaires ! » La télésurveillance suppose en effet que plusieurs types d’acteurs se coordonnent autour du patient : pour effectuer la télésurveillance médicale, pour fournir la solution technique, pour assurer l’accompagnement thérapeutique... Le travail collaboratif avec l’ensemble des professionnels de santé est l’un des grands défis. « L’organisation de la télésurveillance peut faciliter le lien ville-hôpital ou isoler la ville de l’hôpital. Cela ne doit pas devenir un système captif par l’hôpital, qui peut avoir tendance à faire son propre réseau de télésurveillance en ville, sans même que le médecin traitant ou le cardiologue de ville soient au courant  », renchérit Jean-Paul Ortiz.

 

LES GAINS MÉDICO-ÉCONOMIQUES

La majorité des patients inclus dans le programme Étapes le sont au sein du cahier des charges « prothèses cardiaques ». Les enjeux médico- économiques sont majeurs, avec la télésurveillance des prothèses cardiaques implantables, qui vise à diagnostiquer précocement chez un patient à domicile ou en structure médico-sociale les troubles du rythme, sources de décompensation cardiaque et d’accidents vasculaires cérébraux.

Alors que la France compte environ 80 000 patients implantés chaque année (85 % de stimulateurs et 15 % de défibrillateurs automatiques implantables), 40 000 dispositifs font l’objet d’une activation de leur système de surveillance. Les troubles du rythme et de la conduction représentaient en 2013 un coût de 1, 7 milliard d’euros dont 55 % liés à l’hospitalisation(2). Quant à la fibrillation atriale, elle est une cause très fréquente de décompensation cardiaque et d’accident vasculaire cérébral (AVC), qui touche chaque année 130 000 nouvelles personnes pour un coût annuel de 3,5 milliards d’euros. « 33 000 patients sont télésuivis quotidiennement par notre système Home Monitoring (file active) et nous suivons la quasi-totalité des patients Étapes », indique Vincent Peters, directeur des affaires réglementaires et de l’accès au marché chez Biotronik France, l’un des leaders mondiaux du marché des stimulateurs cardiaques et défibrillateurs cardiaques implantables. « Il y a encore des impulsions à donner aux établissements de santé qui tardent à entrer dans les projets pour des raisons administratives, mais il n’y a plus de réticences de la part des professionnels de santé ou des patients », constate-t-il.

 

UN FORFAIT ANNUEL DE 130 EUROS

Le cadre expérimental prévoit de rémunérer le médecin effectuant la télésurveillance (ou sa structure employeur), ou l’infirmier agissant en application d’un protocole de coopération sous forme forfaitaire à hauteur de 130 euros par patient et par an. Pour autant, le modèle économique, à la fois pour les objets connectés, pour les organisations de télésurveillance et pour le paiement des honoraires des professionnels de santé, est loin d’être abouti. « C’est un frein au déploiement », affirme le Dr Ortiz, qui appelle à négocier avec l’Assurance maladie le paiement du temps médical passé. Sur le plan éthique, si le recueil et la sécurisation des données personnelles de santé apparaissent de moins en moins comme un problème, la question du « flicage des patients » se pose encore pour Luc Duquesnel, qui appelle à la vigilance des usagers. « Il faut faire attention à ce que la télésurveillance ne serve pas à sanctionner financièrement les patients, soit par la perte de l’ALD, soit par des déremboursements ». Délégué général au numérique au sein de l’Ordre national des médecins, le Dr Jacques Lucas attire aussi l’attention sur « deux tensions éthiques d’égale importance : le mésusage de données collectées (qui n’auraient pas été rendues complètement anonymes) qui pourrait aboutir à des risques de discriminations, par rapport à l’avantage de faire progresser les connaissances ».

 

LETTRE D’INTENTION DES CLCC

Au-delà du programme Étapes, la télésurveillance est amenée à se développer dans chaque spécialité médicale. Le CHU de Rennes a, par exemple, développé une plateforme interactive de télésurveillance en activité physique et acquisition d’objets connectés à destination des patients souffrant d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI). Dix-sept centres de lutte contre le cancer (CLCC) sur les dix-huit du réseau Unicancer sont par ailleurs porteurs d’une lettre d’intention sur le suivi des patients sous thérapie orale dans le cadre de l’article 51 qui permettra d’expérimenter de manière plus large et dans un cadre règlementaire la télésurveillance des patients (voir encadré ci-contre). « Nous sommes actuellement en discussion avec le ministère de la Santé pour rédiger le cahier des charges, en lien avec plusieurs établissements de santé publics et privés qui ont porté des projets similaires, indique Sandrine Boucher, directrice Stratégie médicale et performance, à Unicancer. L’objectif est de détecter au plus tôt les effets secondaires des patients sous thérapie orale. Cela permet une meilleure observance, une diminution des hospitalisations non programmées et des passages aux urgences, avec une amélioration de la coordination ville-hôpital. » Pour développer rapidement des outils sur l’ensemble du territoire, il faudra encore franchir deux obstacles : le manque de financement et l’inégalité des territoires numériques. « Les attentes sont très fortes en termes d’amélioration des prises en charge et de baisses de coûts (transport, hospitalisation, urgences, décompensation des pathologies, etc.) », confirme Yann-Maël Le Douarin.

1. Voir Legifrance

2. Chiffres issus de l’arrêté du 14 novembre 2017 portant cahier des charges des expérimentations relatives à la prise en charge par télésurveillance des patients porteurs de prothèses cardiaques implantables à visée thérapeutique mises en oeuvre sur le fondement de l’art. 36 de la loi n° 2013-1203 de financement de la Sécurité sociale pour 2014 et publié au JO le 22 novembre 2017.

 

 

Auteurs: 
Gaëlle Desgrées du Loû et Laure Martin