Juin 2018

INFIRMIÈRE DE PRATIQUE AVANCÉE VERSUS INFIRMIÈRE ASALÉE. Quels apports à l'offre de soins ?

L’arrivée des infirmières de pratique avancée (IPA) dans le paysage sanitaire français soulève bien des débats aussi bien du côté des médecins que du côté des infirmiers. D’ailleurs, l’existence des infirmières Asalée, qui ont introduit les pratiques avancées en France et déjà fait leur preuve sur le terrain, est questionnée. Qu’apportent ces « super » infirmières dans le système de soins ?

 

Depuis plusieurs mois, un « conflit » oppose les médecins et les infirmiers concernant la création des IPA. Actées par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016, les futures IPA, qui ont vu leurs compétences définies dans le projet de décret actuellement à l’étude, devraient être opérationnelles d’ici deux ans, le temps de suivre leur formation de niveau master. D’après le texte, le médecin traitant établira avec l’infirmier un protocole d’organisation pour préciser les règles de leur collaboration. C’est lui qui confiera un patient à l’IPA et déterminera la conduite diagnostique et les choix thérapeutiques. L’IPA participera à la prise en charge globale du patient dans quatre domaines : l’oncologie ; les maladies rénales chroniques, la dialyse et la transplantation rénale ; les pathologies chroniques stabilisées ; la prévention et les polypathologies courantes en soins primaires. Elle sera habilitée à conduire un entretien avec le patient, à retracer ses antécédents, prescrire des examens, à renouveler ou adapter des prescriptions, à procéder à des examens, mais ne pourra pas interpréter les résultats. UN AVENIR INCERTAIN

 

UN AVENIR INCERTAIN POUR ASALÉE

 

En parallèle, depuis plus d’une dizaine d’années, les infirmières Asalée (Action de santé libérale en équipe) suivent et accompagnent, dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient (ETP), des personnes atteintes de pathologies chroniques – principalementdiabète, risque cardiovasculaire, BPCO et troubles cognitifs – en binôme avec un médecin généraliste au sein d’un cabinet médical. Des procédures dérogatoires ont été mises en place avec des protocoles validés par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2012. L’infirmière formée peut prescrire au patient un électrocardiogramme et le lui faire, si elle l’estime nécessaire, mais uniquement si un médecin peut l’interpréter dans les suites immédiates. Idem pour la biologie, l’examen des pieds, le test des monofilaments ou encore la spirométrie. Le modèle, créé en 2004 par des médecins, concerne aujourd’hui plus de 500 infirmières salariées et libérales, rémunérées par l’association éponyme. La création des IPA pose forcément la question du maintien ou non de l’existence des infirmières Asalée. Le dispositif a fait l’objet d’une évaluation confiée à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) visant à préciser l’opportunité et les conditions d’une pérennisation de ce protocole de coopération. Dans ce document rendu public en avril, l’Irdes, qui a recueilli des témoignages d’infirmiers et de praticiens, explique que « les patients trouvent auprès de leur médecin et de l’infirmière Asalée un espace leur permettant d’apprendre et d’être soutenus dans la gestion de leur santé au quotidien […] et, grâce à cet exercice en binôme, certains médecins et infirmières indiquent la possibilité d’un agencement nouveau de leurs tâches respectives ». Néanmoins, « cette convergence entre les IPA et les infirmières Asalée, c’est nous qui l’avons proposée par le biais de la validation des acquis de l’expérience (VAE) », soutient le Dr Jean Gauthier, à l’origine d’Asalée. Aujourd’hui, cette pratique nécessite « uniquement », en plus du diplôme d’État infirmier, une formation de douze jours dispensée par l’organisme associatif. « Il faut fusionner les deux, approuve le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). La fonction des IPA va recouvrir celle des infirmières Asalée et leur diplôme sera d’un niveau supérieur. »

 

UN DÉCRET POLÉMIQUE

 

Pour l’heure, le projet de décret actant la création des IPA doit encore être validé par le Conseil d’État avant une parution attendue pour le mois de juin. Cette seconde version du texte, présentée aux syndicats infirmiers et médecins le 24 avril par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), a été retoquée par le Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP). Les représentants infirmiers, comme l’Ordre infirmier et les syndicats de la profession, ont également dénoncé ce texte, regrettant le manque d’autonomie de l’infirmier et sa subordination au médecin avec l’existence du protocole d’organisation. « Avec ce décret, le ministère n’a pas été en mesure de s’opposer au lobby médical, ce qui a conduit à un déshabillage du projet, regrette Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). À ce stade, il nous a informés que c’était à prendre ou à laisser. » Le leader syndical dénonce aussi le retrait de la psychiatrie du domaine d’intervention des IPA. « La création des IPA, nous la souhaitons, mais le métier tel qu’il se dessine dans le projet de décret ne nous satisfait pas », soutient-il. Le Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Réagjir) a lui aussi fait connaître sa déception par rapport au texte. « C’est dommage que le décret n’aille pas plus loin sur les compétences en soins primaires des IPA, fait savoir Yannick Schmitt, le président. Elles ne vont pas pouvoir assurer un suivi effectif des patients. » Le syndicat, qui aurait aimé qu’elles puissent également prendre en charge les pathologies aiguës, regrette le choix des mots au sein du projet de décret, et la crispation qui en découle. « On parle de protocole d’organisation, ce qui suppose une notion de hiérarchie et d’autonomie conditionnée des IPA alors que sur le terrain ce ne sera pas forcément le cas », affirme le président.

 

DES INQUIÉTUDES PERSISTANTES

 

« La CSMF a exigé que le protocole d’organisation soit la base du fonctionnement des IPA, reconnaît Jean-Paul Ortiz. Pour nous, c’est incontournable et indispensable. » Et d’ajouter : « Il y a un degré d’autonomie que les syndicats d’infirmiers trouvent insuffisant. Ils sont dans leur rôle. Mais je pense que chacun doit respecter les métiers et les compétences des uns et des autres. » Des interrogations et des inquiétudes persistent donc du côté des médecins. « Nous ne voulons pas que l’IPA fasse partie d’un système hospitalo-centré et que ce soit l’occasion pour des infirmières salariées de l’hôpital de prendre en charge des patients en ville », alerte le Dr Ortiz. Le modèle économique, encore indéfini, sous-tend cette préoccupation. À l’hôpital, les IPA vont très certainement être salariées mais, en libéral, le modèle de financement n’est pas encore défini. Il devrait l’être par la voie conventionnelle. « La rémunération devra être attractive pour attirer des IPA en exercice libéral surtout après deux ans d’études supplémentaires », met en garde Yannick Schmitt. La formation des professionnels de ville interroge également. « Nous sommes en discussion avec le ministère pour qu’un budget spécifique soit attribué aux structures regroupées afin qu’elles puissent financer la formation d’infirmières libérales qui seraient candidates pour suivre les deux ans de master », indique le Dr Ortiz. La formation des IPA devrait débuter en septembre, « le ministère de l’Enseignement supérieur étant en train d’élaborer les programmes de formation du master avec les conseils nationaux professionnels (CNP) concernés », conclut le Dr Ortiz.