Septembre 2014
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Evolution ou Révolution ?

Catherine Le Borgne
Entretien
Garder l'esprit de 1945, tenir compte du progrès technologique et de la montée en puissance des malades chroniques, garantir l'équilibre de l'assurance maladie et une juste rémunération des professionnels de santé… L'économiste de la santé libéral Frédéric Bizard propose "40 propositions pour réformer"* le système de de santé français, un document remis aux parlementaires et partenaires sociaux dès cet été. Iconoclastes, ses solutions audacieuses méritent le détour. 
 
Egora.fr : Vous soutenez l'idée que l'étatisation de l'assurance maladie en marche depuis plusieurs années, conduit à la mort des principes fondateurs de la sécurité sociale de 1945. Pourquoi ?

Frédéric Bizard : Notre assurance maladie a été conçue selon les principes de 1945, pour être autonome par rapport au pouvoir politique, à travers une gestion paritaire. Les actifs étant les financeurs quasi exclusifs du système, il semblait légitime alors que les partenaires sociaux en soient les gestionnaires. Ce financement solidaire de nos dépenses de santé devait être l'aiguillon de la démocratie sociale en France. Dès lors que l'on supprime cette démocratie sociale, on supprime l'essentiel de la sécurité sociale telle qu'elle a été pensée. Mais il est évident que l'on ne peut concevoir aujourd'hui le renouveau de cette démocratie sociale sur le modèle de 1945. Il faut le faire évoluer pour pouvoir représenter les citoyens usagers et les citoyens patients sous une forme associative. Il faut s'appuyer sur l'organisation actuelle, mais atteindre une représentation indépendante. Je propose la création d'un comité national de gestion de l'assurance maladie, avec un conseil d'administration regroupant les parties prenantes, ce qui amènerait à un fonctionnement renouvelé et démocratique. Sinon, on accepte ce qui est en marche aujourd'hui, encore plus avec la future loi de santé : la suppression du rôle politique de l'assurance maladie qui ne conserve plus qu'un rôle de financeur, le retour dans le giron de l'Etat, qui pilote le système avec les agences régionales de santé. C'est le schéma choisi aujourd'hui, en opposition radicale avec le conseil national de la résistance de 1945.  

 
La deuxième réforme que vous envisagez est économique…

Il est évident qu'on ne peut plus envisager le partage du financement entre l'assurance obligatoire et les assurances complémentaires, comme en 1945. Le conseil d'analyse économique propose une option publique : étatisation de l'assurance maladie par l'intermédiaire des ARS et financement des soins au prix d'une augmentation des prélèvements publics. Je ne crois pas un instant à la faisabilité de cette solution au vu de l'état des comptes publics aujourd'hui. La deuxième option est un système de mise en concurrence au premier euro avec d'autres assureurs privés, comme dans le système néerlandais, ou suisse. Je n'y crois pas plus. On ne peut considérer que l'assurance maladie et AXA, c'est la même chose.  Et ce modèle-là n'a jamais été tenté sur une population de plus de 10 millions d'habitants. Ces deux solutions sont à mon point de vue, peu réalistes.

 

J'ai réfléchi à une troisième solution, qui est un choix politique : revoir la notion de panier de soins collectifs et de soins individuels. On ne peut plus considérer que tout ce qui est disponible sur le marché est remboursé. Or, aujourd'hui, seuls les médicaments qui représentent 15 % des dépenses de santé, bénéficient d'une gestion dynamique du panier de soins : on dé-rembourse régulièrement pour pouvoir prendre en charge les médicaments innovants. Il faudrait pouvoir le faire sur l'ensemble des prestations de santé. Il appartiendra à une instance démocratique, le CNOGOSS (Comité national de gouvernance du système de santé), en prenant appui sur les autorités savantes nécessaires et en tenant compte des évolutions technologiques, de décider ce qui sera remboursé.

 

Ensuite, ce panier de soins dynamique et solidaire sera financé exclusivement par l'assurance maladie avec un ticket modérateur non remboursable sauf pour les maladies graves et les personnes à très faibles revenus.  Je ne crois pas à la responsabilisation financière pour les pathologies graves, mais j'y crois pour les pathologies courantes, c'est le concept fondateur de ticket modérateur. Dans le système que j'imagine, il n'y aurait plus de double prise en charge institutionnelle, assurance maladie, assurances complémentaires. Cela pour au moins deux raisons : c'est à la fois très couteux puisque les actes sont comptabilisés deux fois, et illisible puisque la palette de prise en charge est extrêmement diversifiée.

 

Le panier de soins individuel ne serait plus du tout pris en charge par l'assurance maladie, mais par des assurances privées ou par le patient lui même.

 

A un prix abordable ?

J'ai réfléchi à un système permettant de mutualiser au maximum le reste à charge pour supprimer le renoncement aux soins. Je propose un contrat homogène standard, identique pour l'ensemble des organismes privés, qui serait imposé par la loi afin de créer un fort effet de mutualisation conduisant à baisser le coût des primes. Ce qui différenciera les contrats entre eux, ce sera leur prix. La prime sera donc extrêmement basse, et permettra aussi de revaloriser les actes médicaux. Et puis il pourra y avoir d'autres contrats possibles, d'adaptant aux modes de consommation de soins ou aux comportements de prévention. 

 

Comment prendre en charge la chronicisation des pathologies et le poids de plus en plus lourd des pathologies graves sur l'assurance maladie ?

Dans l'évolution de la protection sociale, lorsqu'on passe d'un risque lourd à un risque long, ce qui vaut pour la retraite ou pour le chômage, il faut changer de modèle pour être efficace. Il faut donc passer d'une gestion du risque en aval, à une gestion du risque en amont. Faire de l'anticipation. Il faut développer les capacités de développement personnel des individus. Le système doit être centré sur l'individu pour être efficace, ce qui permet de réduire les inégalités tout en maîtrisant les dépenses. A travers cette gestion dynamique du panier de soins, il faut organiser un transfert des dépenses curatives vers le préventif, particulièrement en direction des personnes âgées. Mais il faut investir, ce que nous sommes incapables de faire aujourd'hui. Idéalement, on peut imaginer un grand plan d'investissement sanitaire et social sur l'amont du risque, puisqu'on passe des dépenses sociales à de l'investissement social, ce qui est sera très rentable à long terme.

 

 

Le financement de l'assurance maladie repose pour 73 % sur les revenus du travail, ce qui vous semble trop. Vous plaidez pour une montée en puissance de la CSG, jusqu'à 50 % du financement.

Oui, car les revenus du travail ne peuvent que baisser puisque la source de financement reposant sur les actifs, décroît. De plus, le système conduit vers le déficit en période de chômage. Le système de 1945 considérait que seuls les actifs devaient payer pour la retraite, puisque les retraités n'avaient que 5 à 10 années d'espérance de vie. Ce qui n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Cette notion de salaire différée qui justifierait, comme pour les retraites, que les actifs financent des cotisations dont ils bénéficieront plus tard, n'a pas de logique pour la maladie. Nous avons l'outil de la CSG, qui est un impôt sur le travail et le capital. Je propose de faire monter en puissance la CSG pour faire tomber la part reposant sur le travail à 50 %, soit un transfert de 40 milliards d'euros. La conséquence est que les inactifs aisés qui possèdent la plus grande part du capital aujourd'hui (80 % des biens immobiliers parisiens sont détenus par les plus de 60 ans), cotiseraient plus pour leur santé, et les actifs qui sont faibles consommateurs, moins. En outre, la CSG est moins dépendante de la conjoncture économique que les cotisations sociales.

 

Comment faire en sorte qu'il y ait une bonne prise en charge des soins, et que la qualité soit au rendez-vous, plutôt que la quantité ?

Le paiement à l'acte, qui est inflationniste, ne prend pas en compte la qualité. Le système de la capitation est plutôt déflationniste : lorsqu'on est assuré d'avoir un paiement par patient, on peut être tenté de faire moins d'actes. Il n'y a pas de formule miracle. Il faudrait avoir un modèle suffisamment diversifié pour gommer les inconvénients des divers modèles. Je pense qu'il faut conserver le paiement à l'acte, garant de productivité. Ce mode de paiement doit, en outre, être en phase avec l'évolution des métiers.

Le médecin généraliste doit prendre en charge les soins courants des malades, la santé des Français par la prévention et enfin, la coordination des parcours de soins dans leur phase chronique. On ne peut avoir le même mode financement pour ces trois fonctions-là. Pour la prévention des gens bien portants, le paiement à l'acte n'est pas pertinent. Je préconise une capitation ajustée, dont le montant du forfait annuel sera fixé sur cahier des charges, en fonction du profil de la patientèle. Enfin, pour la coordination des parcours de soins qui est de la responsabilité du médecin, il faut envisager un forfait, géré par le médecin, qui le redistribue le cas échéant. Je suis assez sceptique sur la ROSP, qui donne assez peu de résultats et a des effets pervers. Finalement, on paie un médecin pour des actes qui font partie de son métier. Et cette rémunération n'a aucune influence sur le comportement des médecins. Or, l'évolution du système de financement doit être jugée à l'aune de l'évolution des comportements.

*Refonder le système de santé français : Pourquoi, comment ? 40 propositions pour réformer par Frédéric Bizard, économiste de la Santé et enseignant à Science-Pô paris. 

http://www.wobook.com/WBLH8R34vc1P/Refonder-le-systeme-de-sante-francais.html

Commentaires

Hormis L'Assurance Maladie ( la Sécu ) , toute assurance est soumise à la TVA . Ce qui veut dire que , à terme , le montant total des cotisations sociales sera taxé à 20,6 % . De plus les assureurs feront un bénéfice . Donc le total TVA + bénef sera de l'argent qui NE SERA PAS consacré au soin . Avec la récession sociale qui va avec . Donc il ne faut pas qu'il y ait intrusion des assurances dans le domaine santé . Y'a assez d'argent dans les transactions boursières . Tobin oui , Malthus non

Contributions

Comment vouloir refonder quoi que ce soit avec une ministre (et des gens) qui méprisent et haient les médecins... Ils viennent d'une autre planète et ne comprennent manifestement rien à la...

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