Syndrome d'épuisement professionnel. Intervenir très en amont de la phase d'état
Le syndrome d’épuisement professionnel est défini par l’Organisation mondiale de la santé comme « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ». Dans la Classification internationale des maladies (CIM 10), l’épuisement professionnel n’apparaît pas, à juste titre, comme diagnostic parmi les « troubles mentaux et du comportement » mais se trouve mentionné au chapitre XXI consacré aux « facteurs influençant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé », à la rubrique des « sujets dont la santé peut être menacée par des conditions économiques et psychosociales », avec le code Z 73-0 renvoyant au surmenage.
Un ensemble de signes cliniques évolutifs
De fait, dans un contexte où la médiatisation actuelle du « burn out » recouvre un flou conceptuel qui pose problème dans le débat social et même au sein de la communauté scientifique, il est bon de préciser d’emblée que le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas une nouvelle pathologie psychiatrique mais un ensemble de signes cliniques évolutifs psychiques et physiques renvoyant à une dynamique délétère du rapport subjectif au travail, pouvant conduire, ou non, en tant que complications, à des décompensations pathologiques caractérisées, psychiatriques ou somatiques, voire à la mort par suicide ou par accident vasculaire (« karõshi »).
Le fruit d’une rencontre entre un individu et une situation
En France, dès les années 1950, le psychiatre Claude Veil, en charge d’une consultation de psychiatrie au travail, décrivait « des cas déconcertants qui n’entraient pas dans la nosographie classique » et soulignait que « l’état d’épuisement » constaté était « le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation », l’un et l’autre étant complexes, ce qui interdit les simplifications abusives.
Outre-Atlantique, c’est Herbert Freudenberger, psychanalyste, qui dans les années 1970 va élaborer le concept de burn out. Ses travaux le conduisent en 1980 à la publication, avec Géraldine Richelson, d’un ouvrage passionnant, « Burn out : the high cost of high achievement », détaillant la clinique et la dynamique de l’épuisement professionnel à partir de multiples observations. Freudenberger y développe les points cruciaux qui définissent selon lui ce syndrome : un épuisement des ressources internes de l’individu et la diminution de son énergie, de sa vitalité, de sa capacité et de son plaisir à fonctionner, résultant d’un effort soutenu déployé pour atteindre un but irréalisable, le plus souvent en raison d’une situation de travail et plus particulièrement dans les professions d’aide.
Parallèlement, Christina Maslach, universitaire américaine, va s’intéresser elle aussi au burn out dans le cadre de ses recherches en psychologie sociale. Elle en décrit trois dimensions qui serviront à la construction d’une échelle d’évaluation, le Maslach burn out inventory (MBI) : l’épuisement émotionnel, la déshumanisation dans la relation à autrui et la perte du sentiment d’accomplissement personnel.
Une situation de surcharge mentale spécifique au travail
Christophe Dejours, psychiatre, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, situe le syndrome d’épuisement professionnel parmi les pathologies de surcharge, et précise : « Dans le burn out, l’engagement personnel est identifié comme le facteur de risque principal : c’est dans l’implication et la conscience professionnelle, qui sont aussi des conditions de la performance et se révèlent particulièrement appréciées par les collègues et les supérieurs hiérarchiques, que réside la vulnérabilité »
Cette précision est essentielle. La compréhension du syndrome d’épuisement professionnel passe nécessairement par la clinique du travail, par l’analyse du rapport subjectif au travail. C’est en effet du côté du travail, de l’organisation du travail, qu’il faut chercher les clefs de compréhension et les pistes de prévention de l’épuisement professionnel, dans les dysfonctionnements organisationnels, dans les écarts entre objectifs fixés et moyens attribués, entre buts affichés et buts réels, entre discours et pratiques, dans l’existence ou non de marges de manoeuvres pour faire face aux situations réelles de travail, dans les critères et méthodes d’évaluation…
Il est indispensable, pour pouvoir comprendre et agir, de ne pas étendre le concept de burn out à toutes les situations de surcharge mentale que la vie personnelle, familiale ou sociale peut engendrer : le seul « burn out » qui, de notre point de vue, puisse être retenu concernant le milieu familial renvoie au travail des aidants familiaux.
Un certain amalgame épidémiologique
On ne dispose pas actuellement de données statistiques permettant d’évaluer avec précision l’ampleur du problème car les études portant sur les troubles psychiques imputés au travail amalgament le plus souvent des tableaux cliniques et des concepts différents : stress chronique, dépressions, troubles anxieux, stress post-traumatique, épuisement... Les études épidémiologiques utilisant un outil de mesure spécifique, comme le MBI, suggèrent des prévalences d’épuisement professionnel qui varient de 5 à 20 % en population au travail et de 25 à 60 % chez les professionnels de santé, mais les comparaisons entre études sont difficiles en raison de l’hétérogénéité du traitement des réponses au questionnaire.
Après une banalisation, la reconnaissance
Après avoir été dénié, banalisé comme « fatigue » intrinsèque au travail, comme « risque du métier », ou imputé à des facteurs de fragilité individuelle, la reconnaissance du syndrome d’épuisement professionnel est aujourd’hui une question d’actualité, qui a donné lieu en France en 2015 à de vifs échanges à l’occasion des débats parlementaires portant sur la loi de modernisation sociale : y a-t-il un consensus scientifique sur l’existence même d’une entité clinique spécifique, à distinguer d’une forme atypique de dépression ? S’agit-il d’une problématique médicale ou sociale ? Quels sont les facteurs de risque, personnels et organisationnels ? Comment prendre en charge une personne présentant des signes d’épuisement professionnel, pour confirmer ce « diagnostic », envisager les partenariats nécessaires au suivi (médecins généralistes, psychiatres ou psychologues, médecins du travail…) et décider de la nécessité d’un arrêt de travail ou du moment et des conditions de la reprise ? Quand est-il légitime d’envisager la reconnaissance des troubles constatés en tant que maladie professionnelle ? Et, dans ce cas, comment construire la démarche d’imputabilité et quels critères retenir pour envisager une réparation ? Que dit le droit d’aujourd’hui sur cette question ? De quelles pistes disposons-nous pour une prévention individuelle ou collective ?
L’objectif premier de ce dossier est de clarifier, sur le plan théorique, un certain nombre de notions relatives au syndrome d’épuisement professionnel, à ses caractéristiques symptomatiques, à sa dynamique évolutive, à ses conditions de survenue, aux actions de prévention possibles dans le milieu professionnel. Il s’agit également de donner des repères pragmatiques pour chaque étape de la prise en charge d’une personne souffrant d’épuisement professionnel.
Pour ce faire, nous aurons recours à l’expertise et à l’expérience de praticiens formés en psychopathologie et psychodynamique du travail (praticiens attachés de consultation de pathologie professionnelle, médecin généraliste, médecin du travail, psychiatres, psychologue) ainsi qu’à celles d’une avocate, tous confrontés depuis longtemps dans leur pratique à cette problématique.