Lundi, Mars 26, 2018

ÉQUIPE DE SOINS PRIMAIRES, SPÉCIALISTES, HÔPITAL. Des liens à tisser

Les idées et les volontés ne manquent pas pour améliorer notamment la circulation de l’information et l’accès aux médecins spécialistes. De nouvelles façons d’exercer (tous) ensemble se dessinent.

Encore tant à faire pour mieux travailler ensemble !

Le parcours type d’un patient diabétique et coronarien et les difficultés rencontrées, depuis la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) jusqu’à l’hôpital.
L’appel aux médecins spécialistes pour répondre à la demande de soins.
La conciliation médicamenteuse, ou un exemple de lien à renforcer.

 

Structurer les soins de ville, tisser des liens entre les soins de ville et l’hôpital, travailler sur « la gradation des soins »… Parmi les chantiers de la Stratégie de transformation du système de santé présentée le 13 février par le Premier ministre et la ministre de la Santé, le volet sur l’organisation territoriale des soins rappelle sans surprise ces impératifs. Et pour cause : sur le terrain, délais longs de rendez-vous chez le spécialiste, absence ou retard d’information entre les professionnels, examens redondants ou renoncement aux soins sont encore monnaie courante. L’une des missions – et des plus-values – des regroupements pluriprofessionnels, maisons ou centres de santé, est d’essayer d’optimiser les liens entre premier, deuxième et troisième recours sur le territoire. Ce qui n’est pas chose facile (voir Paroles d’acteurs p. 21-23). Médecin généraliste au sein de la MSP de Morangis (Essonne), le Dr Dominique Richard a accepté de décrire un « parcours type » de patient chronique – en l’occurrence diabétique et coronarien – au sein et en dehors de son équipe. Et de pointer les difficultés rencontrées. « En gardant à l’esprit que le territoire où j’exerce est plutôt privilégié en matière d’offre de soins », précise-t-il. Les obstacles peuvent donc être très accentués dans les zones plus fragiles.

 

PREMIER RECOURS : AU SEIN DE L’ÉQUIPE PLURIPRO

La MSP de Morangis compte cinq médecins généralistes, six infirmières et une podologue regroupés depuis 2011. Le parcours du patient diabétique et coronarien est stéréotypé : une fois le diagnostic posé, le médecin traitant déclenche la prise en charge pluriprofessionnelle. Un protocole prévoit la prévention des plaies du pied diabétique avec consultation systématique chez la podologue. L’infirmière Asalee (encadré) entre en action : entre deux consultations du médecin, la consultation Asalée s’assure du suivi des traitements, du suivi diététique, participe au dépistage des pathologies associées, met en oeuvre l’éducation thérapeutique, relance l’activité physique. « Nous proposons un groupe de marche pour les patients diabétiques, dont certains sont dans la sédentarité complète, avec des résultats tangibles sur l’HbA1c, note le Dr Richard. La prise en charge Asalée est essentielle ». Un autre protocole permet le suivi infirmier de l’auto mesure tensionnelle à domicile.

Point central, la communication au sein de l’équipe : chaque professionnel renseigne en temps réel le système d’information partagé et des réunions de synthèse sont organisées toutes les trois semaines. « Chacun y apporte son éclairage sur le patient, ces réunions ont libéré le circuit de l’information, souligne le Dr Richard. Évoquer ensemble les signes avant-coureurs nous permet d’être dans l’anticipation, de faire beaucoup plus de prévention qu’avant. Par exemple, au lieu d’apprendre l’existence d’une plaie, on apprend que le patient ne se lève plus ces jours derniers, on anticipe ».

 

DEUXIÈME RECOURS : LES SPÉCIALISTES

« Notre zone est relativement privilégiée pour la présence de spécialistes libéraux, nous y avons souvent recours et nous les connaissons : ce n’est pas le cas partout », insiste le Dr Dominique Richard. Les délais ont toutefois tendance à augmenter pour l’accès au diabétologue – « pour une mise sous insuline, il est de deux à trois mois à l’hôpital, un peu moins en libéral » – et pour le dépistage ophtalmologique chez le patient diabétique – « entre quatre et six mois et il n’y a pas de circuit existant pour l’accès au rétinographe ». Pas de problème pour l’accès au cardiologue : « Nos correspondants libéraux sont facilement joignables pour un conseil ou un rendez-vous urgent ».

Le système d’information de la MSP permet l’édition par tous les membres de l’équipe de la synthèse médicale (encadré) du dossier du patient, qui contient les informations relatives à ses soins mais aussi à son environnement et à son entourage. Ce document est confié au patient avec la lettre d’adressage au spécialiste. L’usage de la messagerie sécurisée de santé (MSS) est encore restreint. « Les échanges par messagerie sécurisée entre confrères sont peu développés chez nous, mais nous recevons depuis des années grâce à Apicrypt les examens biologiques directement dans notre logiciel patient en temps réel dès leur mise à disposition (cela ne fonctionne pas avec la MSS de l’ASIP) et nous espérons que cela devienne la règle pour l’ensemble des données de nos patients. » Le « rêve » du généraliste ? « Accéder à un PACS régional serait un vrai plus, on gagnerait du temps, on éviterait des examens redondants et on récupérerait enfin les clichés faits à l’hôpital . »

 

TROISIÈME RECOURS : L’HÔPITAL

Pour le patient diabétique et coronarien, l’hospitalisation intervient le plus souvent en cas d’urgence. « L’alerte peut être donnée par l’infirmière et on se concerte de suite pour organiser cette hospitalisation, ou bien il arrive que le patient arrive à la MSP avec une pathologie coronarienne aiguë, l’ECG que nous pratiquons sur place confirme la pathologie et on appelle le Samu », relate le Dr Dominique Richard. Plusieurs établissements alentour peuvent prendre en charge le patient. La MSP a un contact privilégié avec l’hôpital privé gériatrique Les Magnolias à Ballainvilliers, qui a mis en place une permanence médicale téléphonique 24h/24 et 7j/7 réservée aux médecins de ville et aux Ehpad, pour envisager une hospitalisation rapide ou programmée. « Les lignes directes fonctionnent déjà dans les établissements privés et se développent dans les services hospitaliers publics, en oncologie et en cardiologie notamment, ce qui nous évite de longues attentes aux standards téléphoniques ». Avec toutefois le risque (encore hypothétique) pour le médecin généraliste d’accumuler des numéros de téléphone pour les différentes pathologies : « La mise en place d’une plateforme d’aiguillage sera alors l’idéal, imagine le Dr Richard, et parallèlement nous devons aussi nous organiser au sein de la MSP pour être constamment joignables par l’hôpital. »

Si les conditions d’entrée à l’hôpital du patient sont en progrès, la circulation de l’information une fois le patient hospitalisé puis lors de sa sortie, demeure problématique. Le compte-rendu d’hospitalisation et la lettre de sortie – désormais regroupés sous le terme de lettre de liaison (encadré) – ne sont que très rarement remis au patient le jour de la sortie, encore moins souvent envoyés ce jour-là au médecin traitant par MSS. « On les reçoit souvent deux ou trois semaines après, quand on les reçoit, déplore le Dr Richard. La plus grosse difficulté pour nous est de ne pas savoir quand nos patients sortent, de ne pas pouvoir nous organiser et anticiper leur prise en charge. » L’équipe de la MSP avait essayé à une période d’appeler les établissements pour anticiper les sorties, mais cette initiative « n’était pas bien perçue des services »… L’idéal pour gérer et sécuriser la sortie d’hôpital des patients complexes, comme le patient diabétique et coronarien, serait donc le développement de la coordination hôpital-ville. Quelques postes commencent à voir le jour*. « L’amélioration de la circulation de l’information en temps réel entre les différents niveaux de recours est essentielle pour le parcours de soins de nos patients complexes. »

 

L’EXERCICE MIXTE, GAGE DE FLUIDITÉ** ?

Spécificité de l’équipe de soins primaires du Dr Dominique Richard, quatre des cinq médecins généralistes sont attachés hospitaliers. Lui-même est attaché en pneumologie au Centre hospitalier sud francilien (Corbeil-Essonnes) deux jours par semaine, ses confrères le sont en médecine interne, en pédiatrie… « Cet exercice mixte est très intéressant car nous faisons entrer à l’hôpital une autre image de la médecine générale, nous nouons des contacts privilégiés, nous nous formons en continu et nous améliorons naturellement les parcours de soins au bénéfice de nos patients, par le dialogue permanent ». Une piste d’avenir pour l’organisation territoriale des soins ?

 

 

* Martin L. Coordinateur ville-hôpital : un rôle de facilitateur. Conc Med 2018;140(2):12.
** Voir Expériences étrangères page 24.

 

Auteurs: 
Catherine Holué