Mercredi, Avril 25, 2018

PRÉVENTION. Les équipes de soins primaires se lancent

Elles ont l’envie, l’énergie et de plus en plus la capacité d’agir pour préserver la santé de leurs patients, voire des habitants de leur territoire.

Faire quoi et comment ?

Le travail en équipe ouvre de nouveaux possibles.
Quelques repères épidémiologiques.
La prévention en centre de santé.

 

Vingt-cinq mesures, 400 millions d’euros sur cinq ans : le gouvernement a présenté son Plan priorité prévention* le 26 mars, lors d’un comité interministériel au siège de l’agence sanitaire Santé Publique France. Les mesures concernent tous les Français, de la grossesse jusqu’au troisième âge, semblent faire largement consensus et auront pour certaines des répercussions sur l’exercice du médecin généraliste : supplémentation systématique en vitamine B9 des femmes enceintes, redéploiement des 20 examens de santé de l’enfant entre 0 et 18 ans, renforcement de la prévention de l’obésité chez les 6-8 ans, remboursement à 100 % du frottis entre 25 et 65 ans, remboursement classique des traitements d’aide à l’arrêt du tabac, ouverture à la ville de la prescription d’antiviraux contre l’hépatite C, généralisation de la vaccination antigrippale par le pharmacien dès 2019, mais aussi formation de 80 % de la population aux gestes de premier secours, réduction d’ici cinq ans de la consommation de sel de 20 % dans la population française… Les représentants des professionnels attendent le calendrier de déploiement de ces mesures ainsi que leurs modalités de financement.

 

ACTION DE PROXIMITÉ

Sur le terrain, de plus en plus d’équipes de soins primaires (ESP) souhaitent s’investir dans des problématiques de santé publique, notamment au travers de la prévention. En se rassemblant en centre ou en maison de santé, les professionnels ont en effet l’opportunité d’adopter une approche différente de la prise en charge de leurs patients – et au-delà, des habitants du territoire –, de structurer leurs actions et d’adopter un discours commun. Les nouveaux modes de rémunération offrent, par ailleurs, de nouvelles perspectives pour financer la prévention. Médecin généraliste dans une maison de santé à Saint-Martin-d’Hères (Isère), après avoir exercé pendant dix ans dans les centres de santé AGECSA de Grenoble, le Dr  Dominique Lagabrielle confirme que le travail en équipe amène naturellement les professionnels à s’engager sur ce terrain. « Dès lors que l’équipe fonctionne, notamment avec l’aide d’une coordinatrice, les professionnels se parlent des problèmes qu’ils rencontrent, voient émerger une énergie collective, découvrent l’envie et les moyens d’agir autrement que par le soin, affirme-t-il. Ils prennent conscience des problèmes collectifs de santé (concept élaboré par Médecins du monde, ndlr) et s’interrogent sur les moyens d’intervenir.  » Ainsi, à Saint-Martin-d’Hères, les rencontres interprofessionnelles permettent d’identifier des « trous dans la raquette » du système de santé : « Lorsque les orthoptistes ont présenté leur activité, ils ont signalé des difficultés avec l’amblyopie et nous avons compris que des enfants du territoire passaient au travers de ce dépistage. Nous avons donc cherché à y remédier ».

 

QUATRE FACTEURS DE RÉUSSITE

Organisé lors des Journées de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) à Nantes (voir pages 6-7), un atelier sur la prévention animé notamment par le Dr Lagabrielle a permis de dégager quatre facteurs de réussite pour les équipes désireuses de s’y impliquer. Tout d’abord, « le réflexe prévention doit être intégré dans la pratique de soins », souligne-t-il, ce qui implique la connaissance et une attention particulière à l’égard des inégalités sociales de santé. « Quand un ouvrier entre dans mon cabinet, je l’interroge sur sa profession, indique en exemple le médecin isérois, car je sais qu’à 35 ans, il a 1 chance sur 4 de mourir avant 65 ans. Je vais donc orienter la consultation vers certains facteurs de risque. Face au tabagisme, la technique du conseil minimal s’impose. Dans tous les cas, il faut essayer d’aller au-delà de la première demande exprimée, d’engager le dialogue. »

Faire partie d’une équipe « qui marche » est le deuxième facteur de réussite : bien organisée, elle est apte à conduire un diagnostic partagé sur une problématique de santé, à organiser des rencontres et un dialogue entre ses membres, à rechercher et obtenir des moyens financiers pour mener à bien ses projets.

Troisième facteur selon le Dr Lagabrielle, l’aptitude de cette équipe à « se laisser interpeller par l’extérieur » pour identifier et construire des actions pertinentes. Une alerte sur des logements insalubres donnée par des patients, la mairie ou une association de quartier, par exemple, peut donner à l’équipe des informations précieuses et l’amener à prendre en compte l’adresse de ses patients. Pour étayer un diagnostic partagé, le recours à l’université voisine peut permettre de construire des repères épidémiologiques solides. Et le cas échéant « on est capable en équipe d’aller rencontrer le service de santé de la mairie sur telle ou telle problématique ».

Enfin, le succès d’une action de prévention repose bien souvent sur la capacité de l’équipe à collaborer avec les acteurs locaux, associatifs et institutionnels qui partagent les mêmes objectifs et ont des moyens afférents. « Co-construire des actions avec les usagers peut être très porteur, et la présence de leurs représentants est importante lorsqu’on parle en équipe d’un problème collectif de santé », souligne le Dr Lagabrielle, dont le pôle de santé a intégré dans sa gouvernance un collège des patients, habitants et citoyens. Une démarche inédite pour les professionnels, qui implique « un changement concret de perception », voire une évolution de leur rapport au secret médical.

Des conseils donnés, donc, mais aucune règle imposée, « à chaque équipe de jouer sa partition, avec son inventivité et sa créativité ».

 

 

Auteurs: 
Catherine Holué