Le Concours Médical
Juin 2019

PROTOCOLE PLURIPROFESSIONNEL. Suivi des patients traités par AVK : uniformiser les pratiques, faciliter la gestion, limiter l’iatrogénie

Christine Maillard


Conçu pour lutter contre la pénurie démographique des professionnels de santé, le pôle santé du Sud-Ouest mayennais, dit pôle de santé Craon-Renazé, est devenu, en moins de dix ans, une référence. La prise en charge d’un patient traité par antivitamine-K (AVK) nécessitant une véritable coordination des soins, l’équipe a eu à coeur d’élaborer un protocole de suivi pour préciser le rôle et la place des professionnels et uniformiser les pratiques.

 

LE CONTEXTE

À mi-chemin entre Laval au nord et Nantes au sud, le pays de Craon regroupe trois communautés de communes, où vivent 29 000 habitants, dont 3 150 âgés de 75 ans et plus. Il a vu naître en 2008 un groupement de coopération sanitaire (GCS), qui rassemble les professionnels du centre hospitalier local du Sud-Ouest mayennais (CHLSOM), la Mutualité française Anjou-Mayenne (centre dentaire mutualiste, appui méthodologique à la démarche prévention, expertise dans l’accompagnement des personnes âgées et handicapées), et une soixantaine de professionnels de santé médicaux et paramédicaux libéraux regroupés en s ociété interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa), à savoir 18 médecins, 25 infirmiers, 3 masseurskinésithérapeutes, 7 pharmaciens, 4 podologues, 2 orthophonistes, 1 dentiste, 1 ambulancier, 1 sagefemme, 1 diététicienne, 1 psychomotricienne, 1 psychologue, ainsi que les pharmaciens. « Presque la totalité des professionnels de santé du pays de Craon en font partie », explique Anne Rocher, coordinatrice du pôle.

Certains exercent au pôle de santé de Renazé, qui comprend une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) ouverte en 2011 et son antenne satellite à Saint-Aignan-sur-Roë, adossée à un établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et d’autres au pôle de Craon, qui compte une MSP ouverte en 2012 et une antenne satellite à Ballots, adossée à un Ehpad. Chaque MSP est adossée au centre hospitalier local, établi sur deux sites, « afin de favoriser la coordination ville-hôpital », poursuit la coordinatrice. Les professionnels de Cossé-le-Vivien, Saint-Aignan, et Cuillé exercent toujours en cabinet, en attente de l’ouverture d’une MSP à Cossé-le-Vivien repoussée en 2020.

Le pôle de santé Craon-Renazé, visité par Agnès Buzyn en juin 2017, est administré par le Dr Pascal Gendry, qui partagea en 2005 ses réflexions sur un projet de santé territorial avec ses collègues, l’hôpital, les élus, et les usagers du pays de Craon. Devenu président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) en 2016, il consulte toujours à la MSP de Renazé aux côtés de 4 confrères, 4 infirmières, 1 podologue, 1 psychologue, 1 orthophoniste, 1 kinésithérapeute, 1 diététicienne, 3 secrétaires.

Outre sa participation aux expérimentations nationales (nouveaux modes de rémunération, parcours de santé des personnes âgées en perte d’autonomie), ce pôle santé initie des actions communes : dossier médical informatisé partagé entre médecins, infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes grâce à un système d’information commun, éducation thérapeutique, coordination, maintien au domicile, sorties d’hôpital, groupe qualité, formations des étudiants stagiaires (externes et internes) et protocoles de soins.

 

LE PROTOCOLE

Face aux difficultés éprouvées non seulement par les patients (certains ne comprennent pas le libellé de l’ordonnance « 1/4 cp », ni que le dosage peut varier d’un jour à l’autre) mais aussi par les médecins libéraux, qui interviennent également à l’hôpital (ils ne connaissent pas les INR cibles* des patients suivis par un autre médecin) et par les infirmiers (ils gèrent les INR sans connaître la pathologie ni la valeur cible), le groupe de travail du pôle a choisi d’élaborer un protocole de soins « Rôle et place des professionnels, suivi des patients sous AVK » pour mieux gérer le traitement antivitamine-K. Ce protocole a été travaillé avec un groupe de médecins, d’infirmiers, de pharmaciens et d’hospitaliers. « Jusqu’alors, pour savoir comment adapter les doses devant le résultat de l’INR, l’infirmier devait appeler à chaque résultat d’examen le médecin traitant, chaque médecin ayant sa façon d’adapter le traitement. » Un des objectifs du protocole (voir encadré p. 28) était donc de définir une valeur cible d’INR afin de généraliser la conduite à tenir. Ainsi « ce protocole permet de savoir ce que les médecins attendent de nous et ce que nous attendons d’eux. Nous avons pu mettre les choses à plat, uniformiser les pratiques pour ne plus avoir à appeler à chaque fois le médecin, explique Marie Levrard, infirmière et référente du protocole. D’ailleurs, on n’a jamais suivi autant de patients que depuis sa mise en place ! »

Elle en décrit le déroulement : « Les pharmaciens sont intégrés dans le protocole, dès le début de la mise en place du traitement : au terme d’un entretien d’une heure avec le patient, ils repèrent ceux qui sont à risque, et ceux qui peuvent être autonomes, et adressent leur évaluation au médecin traitant. En cas de difficultés, le médecin mettra en place un accompagnement infirmier, comme c’est le cas actuellement pour dix patients, dans notre cabinet. » Ainsi, pour toute prescription médicale d’un traitement anticoagulant par antivitamine-K, le pharmacien adresse, au terme d’un entretien initial avec le patient (voir encadré p. 29), la synthèse de son évaluation à la secrétaire de pôle, qui intègre les informations dans le dossier patient et les transmet au médecin. En fonction des risques reconnus de perte d’autonomie, celui-ci décide d’un accompagnement par un infirmier du pôle. Ce dernier organise, pour ces patients à risque, des passages quotidiens ou met en place un semainier et une fiche de suivi, consultable par le médecin au domicile du patient ; il gère les prélèvements et les bilans sanguins en cas d’incidents (« par exemple, si un patient saigne du nez, on fera un prélèvement sans appeler le médecin pour cela », note Marie Levrard), mais ne peut pas modifier le dosage sans l’accord du médecin traitant, à moins que celui-ci n’ait précisément défini comment adapter les doses, dans telle ou telle situation particulière. Anne Rocher tient à préciser qu’« avoir travaillé à l’élaboration de ce protocole avec l’hôpital nous a permis de bénéficier de l’expertise d’un qualiticien, qui nous a accompagnés pour sa rédaction ».

 

UN MOINDRE RECOURS DES INFIRMIERS AUX MÉDECINS

En 2015, soit un an après sa mise en place, une première évaluation du protocole a montré que la définition de valeurs cibles pour l’INR avait permis de limiter le recours au médecin aux seules valeurs situées hors de la cible. Corollaire, « on a constaté une diminution du nombre d’appels des infirmiers aux médecins », précise Anne Rocher. À la suite de cette évaluation, l’équipe a décidé d’instaurer une fiche de suivi INR, et de travailler à une meilleure lisibilité de la rédaction des ordonnances : nom du médicament, dosage, valeur cible.

En attendant une prochaine évaluation, Anne Rocher pense qu’il faudrait communiquer sur son existence auprès des professionnels arrivants et mieux faire connaître la fiche de suivi au domicile, et sécuriser les échanges infirmier-médecin via le système d’information partagée, notamment le « chat interne », mis en place récemment pour fluidifier cette communication. Par ailleurs, bien que, parmi les indicateurs proposés pour l’évaluation, se trouve le nombre d’entretiens pharmaceutiques réalisés, de dossiers patients sous AVK, de professionnels impliqués, d’accidents iatrogènes, de patients à risque repérés par les pharmaciens, d’alertes aux médecins, « nous n’avons pas pu identifier le nombre précis de patients qui en bénéficient. C’est une question à se poser pour la prochaine évaluation », ajoute Anne Rocher. D’ores et déjà, les participants se félicitent de constater que pour plus de la moitié des professionnels de santé, ce protocole a changé leur pratique d’emblée. En outre, les médecins ont reçu moins d’appels téléphoniques des infirmiers, et la gestion du traitement est considérée comme plus facile par les intervenants. Les effets iatrogènes semblent également avoir été limités, bien qu’en l’absence de statistiques hospitalières, il ne soit pas possible de connaître le taux de passage aux urgences qui leur est attribué.

ANSM, Bon usage des médicaments antivitamine K, juillet 2012.

Enquête Eneis, 2009.

* La valeur de l’international normalized ratio à atteindre pour obtenir un traitement équilibré varie entre 2 et 3 pour la plupart des indications, mais jusqu’à 4, chez certains patients porteurs de prothèses mécaniques.