L'âme en éveil, le Corps en sursis
Quand l’anorexie est une mue ans
L’âme en éveil, le corps en sursis, écrit pour donner un sens à son passé et pour aider les médecins à mieux comprendre leurs patientes, Sabrina Palumbo témoigne de ses années de combat contre une anorexie, caractérisée par un « accès de mysticisme et de religiosité, au centre d’une lutte entre le Bien et le Mal », et associée à une boulimie (« des heures à se remplir, puis se vider » qui faisaient d’elle « une personne dominée par cet instinct primaire : manger »). Elle dit, en préambule, en être ressortie métamorphosée. « Mes TCA m’ont aidé à découvrir ce qu’est ma mission de vie sur terre. »
Très jeune, elle a le sentiment de ne pas être à sa place dans ce monde (seraitce parce que sa mère, institutrice, s’est opposée à ce que sa fille précoce saute une classe pour ne pas paraître la favoriser ?). C’est à la fin du lycée qu’elle devient très malade, hyperactive, bien qu’elle cesse de s’alimenter : « Je suis restée bloquée à 17 ans. Salières apparentes, bras comme des brindilles… » Alors qu’elle prépare un diplôme de marketing, survient une première hospitalisation, quand elle vit son « anor » dans le déni. Puis, elle est adressée sur demande d’un tiers à l’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud de Villejuif, après avoir « frôlé la mort à quelques grammes près » (27 kg pour 1,63 m à l’entrée), avec un corps « semblant sorti des camps de concentration »… qu’il fallait « engraisser » (48 kg à la sortie). Cette année d’hospitalisation fut pour elle une véritable « incarcération ». « L’enfer a commencé quand on m’a placée en chambre d’observation, avec une sonde naso-gastrique (vécue comme une humiliation, « souillée par le gavage ») attachée au lit, le poignet en sang », et « quasiment pas un jour ne se passe sans que je repense à l’hôpital ».
Si aujourd’hui elle a retrouvé confiance dans les médecins, qui lui ont sauvé la vie, elle regrette qu’« en ne traitant que l’aspect poids, on l’ait obligée à mettre une croix sur l’essence même de son identité ». Il lui a fallu se reconstruire, grâce à la spiritualité (avec l’aide de ses « anges gardiens » et de sa foi) et à la pratique sportive (le body combat). Mais puisqu’« il faut à un moment savoir reconnaître qu’on a besoin d’aide », elle a fini par accepter de se faire aider par un psychologue. Une anorexie, vécue dans la honte et qui fut pour elle un moyen de survie, voire une mue : « Je devais, en faisant disparaître mon corps, faire mourir celle que j’étais, avant de former une nouvelle identité ».
Un régime, commencé après la remarque déplacée d’un entraîneur (« serait-elle sponsorisée par Nutella ? »), lui fait perdre 10 kg en quelques mois. Maigrir est devenu la seule chose qui donnait un sens à sa vie. « Vivre anorexie, penser anorexie. Mais il s’agit de quelque chose de plus fort qu’un simple rapport conflictuel à la nourriture ! » Avec tous les paradoxes de l’anorexique, vivre en se passant de manger, devenir un pur esprit, mais se jeter avec une frénésie boulimique sur un gâteau, et l’envie d’être aidée, tout en rejetant avec violence toute aide extérieure. Après avoir « longtemps vécu dans le contrôle total, et pensé que la volonté pouvait venir à bout de tout », elle a fini par lâcher prise. Alors que son état était très préoccupant, elle déclarait déjà aux médecins souhaiter soutenir d’autres personnes ayant les mêmes troubles, en donnant espoir aux familles.
C’est ainsi que, plus tard, elle a fondé son association « pour créer du lien, entre patients et soignants, entre membres de son équipe, entre ses adhérents » avec le slogan tiré de ses épreuves « un corps, un esprit, une âme ». Le but de cette association Sabrina TCA92* est d’informer sur les troubles du comportement alimentaire (encore tabous, car il « est malheureux de constater que l’on s’intéresse aux anorexiques lorsqu’elles sont dans un état avancé de maigreur »), d’orienter vers les personnes ressources adéquates (manque de structures d’accueil et de services spécialisés) et d’éviter à d’autres familles de se heurter à la solitude (« être parent d’anorexique est une épreuve »). L’Association organise des groupes de parole, à la Maison des associations de Clamart, et des ateliers sur la réappropriation du corps et la gestion des émotions animés par des bénévoles (professionnels de la santé, psychologues, sophrologues…). Parrainée par le Pr Michel Lejoyeux, psychiatre, l’Association représente les Hauts-de-Seine (92) au sein de la Fédération nationale des associations (FNA-TCA), qui travaille avec l’Association française pour le développement des approches spécialisées des troubles du comportement alimentaire (AFDAS-TCA).
Christine Maillard
Association SabrinaTCA92 : http://www.sabrinatca92.com/
L’âme en éveil, le corps en sursis. Editions Quintessence, 195p. 17 euros