Révolution digitale et système de santé : faut-il tout repenser ?
L’impact de la transformation numérique sur les organisations va bien au-delà de ce que l’on imagine aujourd’hui.
C’est la thèse défendue par Gilles Babinet dans son dernier ouvrage « Transformation digitale : l’avènement des plateformes ».
Si les entreprises privées et les institutions publiques ne cessent de développer l’usage des outils numériques, elles passent, dans la plupart des cas, à côté de la révolution qu’ils engendrent sur les structures organisationnelles et les modes de management. Héritière d’une conception pyramidale des organisations, elles continuent à fonctionner en silos sur un mode hiérarchique et une vision du travail qui demeure largement taylorienne. Quand on s’étonne de l’incroyable dynamique des GAFA[1], on oublie souvent qu’elles sont issues d’un tout autre modèle, fondé sur le développement d’un esprit collaboratif[2]. Un individu autonome et connecté, des données qui circulent librement, un partage du contenu qui fait progresser le réseau et diffuse la culture et l’information.
« L’entreprise de demain est une plateforme d’intelligence collective ».
« Un nouveau modèle est en train de voir le jour, fondé non plus sur la seule valeur travail, mais sur la capacité de chacun de créer, produire, collaborer avec les autres, mutualiser les moyens pour être libre et se réaliser »[3]. La transformation digitale conduit ainsi à faire passer les organisations d’un système vertical hiérarchisé à un modèle horizontal et transversal reposant sur la constitution de groupes de travail autonomes autour d’une stratégie générale. Elle casse la culture en silos et introduit des changements de processus qui produisent des effets de rebonds sur l’ensemble du système. Cette remise en cause brutale des modèles traditionnels d’organisation et de management interpelle tous les dirigeants et responsables politiques et nécessite de leur part de revisiter tous les concepts sur lesquels ils reposent. De la défiance à la confiance et du cloisonnement à l’ouverture. Là est la vraie révolution.
La santé constitue un des secteurs prioritaires où cette révolution digitale globale doit s’opérer.
On peut en effet s’interroger sur le paradoxe national que constitue l’extrême lenteur du déploiement des outils numériques santé dans les pratiques quotidiennes, alors que la France est un des pays qui dispose, au niveau mondial, des start-up les plus nombreuses et les plus dynamiques dans ce domaine. Pendant ce temps les jeunes générations de praticiens[4] aspirent à un travail d’équipe, à un décloisonnement entre disciplines et à des pratiques collaboratives avec les autres professionnels soignants, sociaux et médico-sociaux. Délégation de tâches, nouveaux modes de rémunération et bon usage des données de santé leurs apparaissent comme des points clés, tout en établissant une relation nouvelle avec des patients, acteurs proactifs de leur maintien en bonne santé.
La réussite de la transformation numérique du système de santé passe par un profond changement de culture organisationnelle.
Les plateformes E.santé et les maisons de santé pluridisciplinaires et pluriprofessionelles peuvent-elles se déployer efficacement et harmonieusement dans un modèle qui demeure profondément centralisé ? L’adaptation aux réalités territoriales ne nécessite-elles pas des « dynamiques agiles » [5]porteuses d’innovations, supposant la prise d’initiatives des acteurs hors des règles établies ? L’établissement de relations fluides et efficientes entre la ville et l’hôpital et la gestion des parcours patients n’impliquent-elles pas de faire travailler ensemble des praticiens et des professionnels de santé, quel que soit leurs statut professionnel, autour de données partagées ? Les profondes réorganisations opérées au sein des GHT ne doivent-elle pas s’appuyer sur les principes de structures non plus verticales et hiérarchiques, mais horizontales et transversales ? Le modèle statutaire et managérial n’est-il pas à repenser dans son intégralité ?
Ce qui est en jeu c’est autant l’efficience du système de santé, que la valorisation des dimensions humaines pour les professionnels, les patients et la population toute entière.
Une telle transformation repose d’abord sur son appropriation par tous ses acteurs. C’est de leur prise de conscience individuelle et collective, leur dialogue, leur imagination et leur volonté d’agir ensemble qu’elle a le plus de chance de prendre corps. Cet esprit collaboratif, faisant des outils numériques le support pertinent de cette révolution organisationnelle, est indispensable pour gagner des batailles aussi essentielles que celle de la prévention, du déploiement de l’ambulatoire ou de l’éducation thérapeutique. Elle implique en même temps une révolution concomitante des savoirs, des savoirs être et des pratiques. Plus d’autonomie et de reconnaissance pour chacun et pour tous dans leurs besoins d’informations, de formation, d’écoute et de possibilités d’initiatives. Elle interpelle profondément les logiques de fonctionnement institutionnelles qui ont prévalues jusqu’alors. Il ne s’agit plus de décider d’en haut, mais de créer les conditions d’un modèle s’articulant sur une vision partagée, des valeurs, des règles, des principes communs et le développement d’une réelle subsidiarité.
[1] Gilles Babinet. Transformation digitale : l’avènement des plateformes – Histoire de Licornes, de data et de nouveaux barbares Gilles Babinet – Editions LE PASSEUR – Décembre 2016
[3] Google, Amazon, Facebook et Apple totalisent aujourd’hui une valorisation de 1740 milliards de dollars dépassant le PIB de l’Espagne et du Portugal réunis.
[3] « Je cherche à comprendre » – Joël de Rosnay – Editions LES LIENS QUI LIBERENT – Octobre 2016
[4] http://strategie-innovations-sante.com/comment-les-etudiants-en-sante-se-font-de-moins-en-moins-captifs-du-systeme/ Solange Menival – Mars 2017
[5] « Le modèle Californien – Comment l’esprit collaboratif change le monde » – Monique Dagnaud – Editions ODILE JACOB – Mai 2016
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