Janvier 2020

EXPRESSION Pierre de Haas : 2020, rebond ou crépuscule du modèle libéral?

En France, l’organisation des soins de ville s’est longtemps fondée sur un modèle de délégation de l’État aux professionnels libéraux : celui-ci laissant à ceux-là le soin d’organiser ce champ d’activité. Devant l’hétérogénéité de l’offre, l’État a voulu instituer un minimum d’organisation, et ce fut la première convention médicale en 1971 reposant sur un principe de « donnant-donnant » : tarifs de consultation négociés contre prise en charge d’une partie des cotisations sociales. Cet accord, d’abord décrié par la profession, fut un succès : meilleur accès aux soins et amélioration du revenu des médecins. Après 1968 et une large ouverture du nombre de places aux études, l’offre de soins devint nettement supérieure à la demande. Les confrères installés dans les années 1980 s’en souviennent. La vie était plus difficile qu’aujourd’hui car la « concurrence » était forte. Puis des facteurs sont venus améliorer à nouveau la situation pour les médecins : le départ à la retraite de plus de 10 000 confrères avec le Mica*, l’augmentation de la demande de soins liée aux pathologies chroniques, et la diminution des lits hospitaliers. De cette histoire, nous pourrions conclure que l’activité libérale n’est guère associée à une capacité d’organisation de l’offre de soins. Ni les institutions publiques ni les organisations professionnelles n’ont anticipé cette contradiction. L’épisode actuel en est un nouvel exemple. Près de la moitié des médecins libéraux refusent d’organiser eux-mêmes la réponse aux demandes de soins. 44 % de médecins refusent de nouveaux patients, et jusqu’à 92 % dans un département**…


Le problème qui se pose devient collectif. Il impose une réflexion sur le statut libéral. Car si les médecins n’assument pas cette responsabilité, ce pourrait être la fin de l’exercice libéral. D’autres viendront sur ce champ. Le département de la Saône-et-Loire a commencé, suivi par Ramsay santé, l’AP-HP, et la région Centre-Val de Loire, avec des projets de cabinets de médecine salariée. Cela sera différent, probablement pas pire, ni pour les patients ni pour les médecins. Si certains craignent leur perte d’indépendance, d’autres attendent des gestionnaires pour organiser leur travail.


S’il faut poursuivre sur un modèle libéral et garder la liberté de gouvernance et d’innovation, il est urgent de transformer les conditions de travail pour assurer des soins à plus de patients. C’est aujourd’hui possible : assistants médicaux, délégation de missions en interprofessionnel, nouveaux modes de rémunération, expérimentations de l’article 51… Une meilleure gestion permet de garder la main sur l’organisation : maison de santé avec coordination, voire une « direction » déléguée en assumant la gouvernance.


Les années qui viennent seront capitales. Ou les libéraux s’emparent d’une rénovation de l’organisation des soins primaires face à l’État, et ils continueront d’en assurer la responsabilité. Ou d’autres organiseront à leur place, et leur statut sera redéfini autour du salariat.

* Mécanisme d’incitation à la cessation anticipée.
** Enquête publiée fin novembre dernier par l’UFC-Que choisir.